Cartes construites à partir des données de la Métropole et de données récoltées par l’équipe

1.A.02
Les Côtes hier : habiter, veiller, cultiver au fil du temps

Les Côtes de niveau : géologie et fabrication au long cours des paysages
Carte de la géologie et de l'implantation humaine

Habiter les Côtes

Le site archéologique du Mont Saint-Germain témoigne du caractère ancien de la présence des êtres humains sur le territoire. D’après le Cercle archéologique et historique du Mont Saint-Germain, l’éperon calcaire revêtait une position stratégique dès l’Antiquité et a permis de contrôler au Moyen-Âge la route qui reliait Metz à Verdun, Reims et Paris.

Un habitat gaulois y a même été identifié. Les fondations et les vestiges d’un grand château féodal de la fin du XIIe siècle et les ruines d’un prieuré d’origine romane ont également été découverts sur cet éperon.

Les découvertes archéologiques ont révélé également que le site a été fréquenté au Néolithique et qu’une occupation sans doute de type militaire a existé à l’Antiquité tardive. Pour en savoir plus : http://archeo.chatel-saint-germain.fr

Si nous regardons attentivement la carte géologique superposée avec l’implantation des villages, nous pouvons facilement constater que les villages ne se sont pas installés n’importe où sur le profil des Côtes ! Il y a bien un lien entre le socle géologique et la situation des habitations.

En effet, les villages ont pris place sur les parties argileuses de la pente, en limite avec la fine couche ferrugineuse et l’épaisse couche de calcaire au-dessus. L’explication de ce phénomène est simple : les eaux de pluie tombant sur le plateau calcaire « traversent », pénètrent les couches perméables de calcaires et lorsqu’elles rencontrent une couche imperméable, elles sont conduites pour resurgir dans le profil de la pente. A ce niveau de la côtes, les sources sont nombreuses, la présence de lavoirs en léger contrebas témoigne bien de la présence de cette eau à mi-pente. Ainsi, les villages, en s’implantant à ce niveau du profil pouvaient profiter des sources et disposer de toute l’eau dont ils avaient besoin ! Quelle richesse ! et si spécifique à ces territoires !

C’est ainsi que les parcelles situées au-dessus, de part et d’autres et en-dessous des villages pouvaient être occupées par des vignes, des vergers, des prés…

Les villages présentent des caractéristiques particulières à ce territoire des côtes de Moselle :

Approfondissons maintenant nos observations sur l’implantation d’origine des villages dans le périmètre du Plan Paysage. Nous constatons trois principales configurations qui racontent bien la manière dont les êtres humains ont tissé une relation aux Côtes et aux différentes présences de l’eau qui les caractérisent :

Ars-sur-Moselle, en fond de vallée encaissée.
Le Ban-Saint-Martin, en pied de coteau et à proximité de la Moselle. (source : https://www.ban-saint-martin.fr)

Lorry-lès-Metz, village-rue à mi-pente.

Veiller sur et depuis les Côtes, une histoire militaire

Développement des activités industrielles et militaires dans la plaine et sur les Côtes.

La militarisation des paysages

Nous le comprenons vite, pour appréhender finement les enjeux paysagers du territoire, il nous faut saisir à quel point l’Histoire a imprégné les plateaux, les coteaux, les villages, les esprits. Comme l’écrit Laurent Commaille, au Moyen-Âge alors que les luttes sont intenses pour prendre le pouvoir sur les territoires :

Plus d’une fois, deux évêques se disputent le siège de Metz, mobilisant alliés et troupes. Si Metz est une ville libre d’Empire comme Francfort, Nuremberg et d’autres, elle est relativement isolée malgré son appartenance à la Fédération du Rhin, ses alliés étant assez loin. Alors villages, fermes fortifiées et maisons fortes jalonnent le territoire, formant de nombreuses lignes de défense, un territoire se fortifiant progressivement.

Les traces de cette époque où le danger était partout sont encore visibles avec la ferme des Grandes Tappes au nord de Metz, les aîtres (églises fortifiées), de nombreuses portes et murailles, etc.

À la fin du XVIe siècle, toujours selon Laurent Commaille,

Metz devient une place forte essentielle dans le vaste jeu de go qui se joue entre la France et l’Empire, et la région est plus ou moins ravagée par le passage incessant des troupes.

Pendant la guerre de Trente Ans (1618-1648),« on estime qu’environ quatre-vingt villages de l’actuel espace mosellan, du côté de la Seille, disparurent à jamais. »

Progressivement se met en place sur la frontière nord-est du royaume, un équivalent du Pré Carré du nord de la France. Petit à petit, la zone frontière se stabilise, mais les emprises militaires ne cessent de progresser. Tout le paysage est ainsi instrumentalisé, si l’on peut dire, subordonné à l’impératif de défense.

Selon Anne et Denis Mathis, quand la frontière est reportée sur le Rhin en 1815, Metz devient la capitale militaire sans pour autant disposer des moyens militaires opérationnels suffisants. Cette organisation échoue en 1870, la frontière est à nouveau déplacée.

Un nouveau déploiement militaire structure de façon presque symétrique les territoires français et allemands en empilant les camps retranchés, les villes de garnison, les forts, les ouvrages de campagnes ou les éléments logistiques.

Une période de grandes transformations bouleverse au XIXe siècle la ville de Metz et ses alentours : construction d’une nouvelle gare, de forts sur les collines (Queuleu, Saint-Julien, Plappeville, Saint-Quentin, Saint-Privat, etc.). Ces forts seront par ailleurs terminés par les Allemands pendant la guerre de 1870, dans le cadre des travaux pour renforcer la ceinture défensive. Un dispositif de forteresses s’appuyant sur des Festen (des groupes fortifiés) tout autour de Metz est mis en place par Guillaume II à partir de 1890.

À partir de 1918, la réintégration de l’Alsace et de la Moselle reporte vers l’est le territoire de défense. Ce dernier recycle les infrastructures des déploiements allemands, puis aménage la ligne Maginot. […] La Guerre Froide et la dilatation du territoire de défense, avec le déploiement des Forces Françaises en Allemagne, placent le Grand Est dans une logique de soutien et de concentration des forces. L’espace de défense dans la région Grand Est est le résultat de différentes phases d’hypermilitarisation. Marge militaire organisée depuis la Champagne jusqu’au Rhin, elle présente un paysage militaire riche et complexe, héritage de plus de quatre siècles de déploiements.
Extraits de l’article « Les paysages militarisés du Grand Est : un héritage difficile à valoriser », tiré de l’ouvrage Paysage(s) de l’étrange, Aurélie Michel et Susanne Müller (dir.), édition Le bord de l’eau, 2018

Les côtes jalonnées de friches militaires

Le périmètre du Plan Paysage compte de nombreux groupes fortifiés, forts et autres marqueurs militaires, érigés sur le haut des reliefs, plus ou moins proches de la pente :

Le groupe fortifié Jeanne d’Arc.
Mémorial de la guerre de 1870, Gravelotte - Châtel-Saint-Germain.

Aujourd’hui, les lieux abandonnés ou déjà transformés suite à la reconfiguration du territoire défensif sont nombreux dans le tissu urbain dense comme dans les campagnes.
Mais, selon A. et D. Mathis, « parce que ces friches militaires sont spécifiques aux usages des armées, il est difficile de les intégrer à l’espace civil, de les réinscrire dans un système urbain ou rural sur lequel ils ont souvent été une contrainte structurelle. Leur retraitement est un long chemin de croix et se traduit souvent, et malgré les volontés « patrimonialisantes », par la démolition partielle de l’emprise militaire. L’effacement permet de faire disparaître une cicatrice paysagère » et de reconstruire la ville sur la ville.
Ces chercheur·se·s distinguent plusieurs types de paysages militaires :

Le paysage militaire, malgré le départ de l’armée, peut être une ressource. Il peut connaître des trajectoires multiples, résultats des politiques de secteurs territoriaux.
Extrait du Diagnostic Pensons et dessinons les Paysages du SCoTAM, 2019.


Des paysages de Côtes transformés

Les groupes fortifiés, implantés sur le haut des Côtes, dominaient à la fois la vallée et le revers de côte. La surveillance du territoire était possible car les versants des Côtes étaient bien plus dégagés qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Les cartes postales anciennes de l’emblématique Mont Saint-Quentin dévoilent un paysage méconnaissable ! Les pentes étaient cultivées, pâturées, les bois circonscrits. Et la vue était même possible depuis la Tour Bismarck vers la vallée.

Les coteaux messins du Ban-Saint-Martin.
(carte postale ancienne, pas de date indiquée)
La digue de Wadrineau, où l’on pouvait déambuler en vélo pour se rendre au Ban-Saint-Martin et au restaurant du Sauvage. (carte postale ancienne, 1902)
La tour Bismarck fût un temps… (carte postale ancienne, pas de date indiquée)
…et cette même tour aujourd’hui.
Le Hêtre des Batailles dans la lisière du Groupe fortifié Jeanne d’Arc. D’après la pousse de la végétation tout autour, ce hêtre devait être au milieu d’un espace ouvert il y a encore quelques décennies.


Des versants et des sols opportuns pour la culture

Les versants sont constitués de roches de calcaires dures sur les hauts de cuestas. En dessous, se trouvent des couches marneuses, plus tendres donnant lieu à des versants plus ou moins abruptes en fonction des phénomènes d’érosion.
Les sols de ces versants, ainsi formés de calcaires et de marnes, sont dits argilo-calcaires et présentent un aspect plus ou moins caillouteux. Ces cailloux assurent le drainage et la régulation hydrique des plantes, notamment des vignes. Ils permettent l’infiltration de l’eau quand elle est abondante.

De plus, ces versants bénéficient souvent d’une exposition sud ou sud-est, favorable à la plantation de vignes et de vergers.

Progressivement, avec l’effacement du rôle de surveillance des groupes fortifiés sur le haut des Côtes, la forêt s’est durablement installée, offrant aujourd’hui un caractère sombre et uniforme à ce trait de côte perceptible à plusieurs kilomètres au loin. Ces bois jouent un rôle de protection des versants en contrebas encore cultivés sur le front de Côte.

Vue sur le village de Lessy et ses parcelles de vignes au premier plan. (carte postale ancienne, 1908)

La culture de la Fraise

La production de fraises semble avoir débuté au début des années 1870 dans le secteur de Woippy, mais aussi Plesnois, Lorry-lès-Metz, Norroy-le-Veneur. En 1883, un article de presse mentionne l’existence d’une superficie de 30 ha dédiée à la culture de la fraise, cultivée par une centaine de ménages.

Extrait de la couverture de l’hebdomadaire Le Pélerin de 1933. (source : http://www.raconte-moi-woippy.net)

La vallée, atout pour des activités industrielles

Les Côtes et le minerai

C’est en 1838 qu’Ars-sur-Moselle voit apparaître son premier haut fourneau, grâce à la découverte du minerai de fer. La société des forges Dupont et Dreyfus fait construire plusieurs fours à Ars-sur-Moselle, et d’autres à Novéant. Elle construit la cité ouvrière Saint-Paul comptant une centaine de logements. Chevaux puis wagonnets en 1882 transportent le minerai. L’activité d’Ars-sur-Moselle est en pleine prospérité quand éclate la guerre de 1870.

Après l’annexion, et seulement dans les années 30, de nouvelles industries s’installent à Ars-sur-Moselle, mais la Seconde Guerre mondiale conduit les habitant·e·s à quitter le village. La ville est fortement détruite. La vie industrielle reprend vie avec Les Forges et Boulonneries après la guerre (1200 personnes y travaillent). Le coup de frein est finalement donné à partir des années 1970 et les Forges et Boulonneries ferment en 1994.

L’industrie du minerai de fer à Ars-sur-Moselle. (carte postale ancienne, pas de date indiquée)
L’industrie du minerai de fer à Ars-sur-Moselle. (carte postale ancienne, 1900)

Le lit alluvionnaire de la Moselle

Les cartes suivantes témoignent de l’évolution de la vallée de la Moselle en 1908, 1955, 1975 et 2020.

Les gravières apparaissent selon un rythme soutenu après 1955. Les gravières de La Maxe au nord de Metz et celles entre Jouy-aux-Arches et Jussy s’étendent jusqu’à occuper un maximum d’espaces entre les infrastructures et les habitations.
Pourtant elles restent aujourd’hui peu connues des Messin·e·s. Étendues d’eau souvent encerclées par des ripisylves épaisses et hautes, elles font l’objet d’appropriations privées, brouillant un peu les pistes dans notre détection des limites privées et publiques.

Certaines gravières de la vallée de la Moselle sont déjà identifiées comme étant des réservoirs écologiques d’importance et classées comme Espaces Naturels Sensibles. Elles sont des refuges et des habitats pour de nombreuses espèces (crapauds communs, milans noirs, busards des roseaux, martins pêcheurs, cuivrés des marais, etc.).

Carte IGN de 1908, 1/25 000 (sources : IGN de St-Mandé)
Carte IGN de 1955, 1/25 000 (sources : IGN de St-Mandé)
Carte IGN de 1975, 1/25 000 (sources : IGN de St-Mandé)
Carte IGN de 2019, 1/25 000 (sources : Géoportail)

Le Marais du Grand Saulcy ou les Sablières de Vaux appartiennent au périmètre du Plan Paysage.
La physionomie de ces paysages a largement été transformée au cours du siècle dernier, que ce soit le fond de vallée ou les paysages de côtes. (carte postale ancienne, pas de date indiquée)

La topographie marquée des Côtes a joué un rôle essentiel tant dans l’implantation des êtres humains que dans le passé militaire et industriel omniprésent du territoire. Cette époque est maintenant révolue, mais les Côtes ont toujours une réelle importance auprès des habitant·e·s, tant symboliquement que physiquement. Elles engendrent en effet des points de vue et un regard unique et singulier.

Comme nous vous proposons de le voir maintenant (cliquez en-dessous !), les Côtes ont donc gardé la cote !